Camille Crésut

Poésie

Fuyante

Cette terre qui ne t’appartient pas
que tu aimerais apprivoiser
où tu aimerais te reposer
tu y reviendras
terre nourricière
terre promise
terre tombeau de tes illusions déçues
Terre élastique
qui te rejette
et te laisse t’approcher
de loin
Mirage d’harmonie,
le parfum des fleurs
pourpres, ocres et violines
L’azur miroitant,
turquoise
La pureté des paysages
et l’exotisme
niais
ne peuvent effacer de ta mémoire
ce que tu as vu
au détour d’une rue
où tu t’étais perdue
des hommes courant dans le noir
s’enfuyant tout à coup
au passage d’un camion bleu
le bruit de cette course sourde
cette armée sans visages
poursuivant le regard effrayé
de celui
qui te saluait quotidiennement
lors de ta routinière promenade matinale
dans les bougainvilliers du voisinage
au détour d’un champ de manioc
où tu t’étais égaré
tu as vu
ce que tu ne devais pas voir
les maisons – bangas, cabanes, tôles et torchis, enclos, feux, bassines
linge étendu dans les buissons
parfois un câble électrique
alimente ce village improbable
ayant poussé en pleine campagne
tu n’oublieras pas les bébés
te montrant du doigt
puis te souriant
devant ton désarroi
«je me suis perdue!»
ces femmes qui s’arrêtent un instant de laver leur linge à la rivière
pour te saluer
sans parler français
en shikomori
elles disent à leur mari de te reconduire au village
– celui de la lumière
et de la légalité,
car ici n’existe pas –
alors ce guide improbable enfile sa chemise,
vous descendez le cours de l’eau
-quelle idiote tu es, il te suffisait de suivre la rivière
pour retrouver la ville-
il te laisse à l’orée
de la brousse
vous vous serrez la main
Maharaba Mogne
tu repars
sur ton chemin
le bon chemin ?