Camille Crésut

Poésie

Aéroport

Je me sens étrangère
Comme si je venais d’un autre monde
Où sont ?
Où sont les salouvas, visages peints des femmes à peau de nacre noire?
Les couleurs chatoyantes d’un univers ineffable s’estompant peu à peu de
ma mémoire ?
J’observe les autres
J’observe mon monde
Comme si c’était la première fois
Ce regard éveillé
Que j’ai toujours rêvé d’adopter
C’est le mien aujourd’hui
Comment revenir sans lui ?
Faut-il revenir?
Ou demeurer
Demeurer sur le seuil
À l’entrée de cette vision
Saisissant imperceptiblement
Les silhouettes, les figures, les visages,
Ces formes fuyantes
Dans leur ballet approximatif
Ces jeunes filles en sweet-shirt rouge qui s’entraînent
Pour un concours de majorettes?
Cette famille qui attend
Un départ pour Zanzibar?
Ce couple qui a l’âge de mes parents
et qui converse ?
Ce couple de mon âge
qui converse…
avec son smartphone ?
Ces filles aux feux bridés
avec leur style éclatant
Ces parisiens
– on les reconnaît entre mille
Avec leurs uniformes noirs et chics
Classes, sans trop
Décontractés, mais pas trop
Et moi aussi
Au fond de la salle
Je les regarde
Avec ma peau cannelle
Mon pull en laine
Mon corps
-Petit corps fragile que nous avonsVient de passer de 30 degrés à zéro
J’attends l’avion et je les observe
Ils ne me remarquent pas et j’adore ça
Je me sens comme une voleuse
Une voleuse de trajectoires
Je capture les apparences
Les fixe dans le prisme de ma perspective
Avant de décoller
Vers autre part
Un nouveau départ
Encore un nouveau départ
Sur cette terre où je suis née
– Où nous sommes tous nés.